Les couleurs du teinturier de Saint-Martin-d'Entraunes

Les couleurs du teinturier de Saint-Martin-d'Entraunes

Sur les techniques de teinture, autre parent pauvre de l’enquête, je ne disposais que du relevé des couleurs du livre de comptes et de la liste de plantes utilisées. L’archéologue spécialiste des teintures Marie Marquet a donné à voir ces couleurs oubliées en reconstituant la palette à partir de ces plantes.

Comment l’archéologue-teinturière a reconstitué le nuancier

L’échantillonnage ici proposé se fonde sur plusieurs sources et informations croisées : d’une part les mentions de couleur dans le registre du teinturier, qui note les demandes de ses clients. D’autre part le livre d’achats qui tient le compte des livraisons de ressources (plantes tinctoriales et additifs permettant le mordançage) pour le fonctionnement de l’atelier, enfin des informations de contexte, et des récits sur la région qui permettent d’attester l’usage de certaines espèces. Alun et couperose servent de mordants et sont attestés dans l’atelier par les sources : si l’alun, mordant neutre, est le mordant essentiel pour fixer les couleurs vives, l’usage de la couperose (et donc du fer) donnera avec la même plante d’une couleur plus foncée (ex : jaunes tirant vers le vert), ou permettra également d’obtenir, avec des plantes à tanins, le noir. Le registre du teinturier semble, pour une teinturière, non pas mystérieux, mais très proche de celui que je tiens aujourd’hui, pour le même travail. L’artisan connaît ses recettes et ne va pas les réécrire, travail inutile et sans objet pour lui. Il note ses commandes, associe parfois un échantillon de la couleur pour bien la reproduire, et consigne éventuellement la ressource qu’il a alors choisie pour exécuter la commande, pour le cas où une même demande lui sera à nouveau faite. Il tient ses comptes, et consigne ses achats, avec le coût, qui lui permet de calculer le tarif des teintures pour ses clients.

Afin de réaliser l’échantillonnage, j’ai travaillé selon la recette classique de mordançage à chaud du drap de laine et, en parallèle, de la réalisation du bain de teinture par décoction des ressources évoquées dans les sources. La pièce de laine mordancée est ensuite trempée dans le bain ainsi obtenu et mise à chauffer pour faire monter la couleur sur le tissu. La gamme obtenue est assez large et pourtant elle emploie un ensemble de ressources peu étendu. Le teinturier peut ainsi proposer des couleurs variées sans compliquer son approvisionnement. Seule exception à cela : le bleu et le campêche qui sont tous deux des produits plus spécifiques. Le bois de campêche, provenant d’Amérique centrale, est une ressource exotique qui devient très demandée au xixe siècle, source de violet et de noir brillants, notamment appréciée des soyeux lyonnais. Le bleu peut être tiré soit de l’indigotier d’Inde, d’Amérique (indigofera sp.) soit d’une production nationale de Pastel des teinturiers (isatis tinctoria L.). Dans tous les cas c’est une ressource dont la production est très spécifique et la transformation assez technique : la cueillette et la transformation ne sont pas une activité commune et cette filière implique au xixe siècle une spécialisation forte.

 

MARIE MARQUET

Teinturière, archéologue et ethnologue, spécialisée dans l’histoire des techniques du textile et de l’usage des plantes en teintures

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